Pour l'essentiel, ce charme tient à la poésie voluptueuse discrètement
relevée de sensualité qui émane du tableau. Malgré l'audace de la
mise en page, nulle lascivité pourtant: Vénus n'est pas déshabillée;
elle est nue, et la compagnie du musicien en habit de fête, la
direction apparemment si hardie de son regard, loin d'introduire
le trouble, évoquent une atmosphère dont tout licencieux est banni.
Tel un morceau d'ambre, la Vénus que l'artiste a peinte ici s'offre
dans toute la splendeur de sa maturité. Que nous sommes loin de la
Vénus d'Urbin ! Mais ce qu'elle perd en éclat, elle le gagne en
mystère. Ce n'est plus la jeune fille dans le rayonnement solitaire
de sa beauté. L'âge (ou l'expérience) l'appelle à souffrir la
compagnie d'autres êtres.
Aux servantes de la Vénus d'Urbin, reléguées
dans le fond et réduites à leur rôle ancillaire, se substitue le
musicien, qui est presque sur le même plan que la Vénus. Notre
façon d'entrer en contact avec le tableau change. Sollicité par
deux pôles d'attraction, le regard va alternativement du nu au
musicien, et même si la prééminence reste au premier, il ne
peut entièrement négliger le second. La conséquence, on le
devine, c'est que le nu a relativement moins d'importance, et
donc que sa beauté tient moins à l'exaltation de sa forme et de sa
chair qu'à un charme plus secret, auquel le musicien n'est pas étranger.