La Vénus d'Urbin s'offre à nous telle une idole sur laquelle nos yeux ravis se posent longuement dans un silence que rien ne trouble. La partie droite du tableau ne nous distrait pas de notre contemplation; elle nous sert de reposoir, tout comme les servantes, le petit chien et le pot de fleurs dans l'embrasure de la fenêtre. Or, ce qu'a si admirablement compris Titien dans la Vénus du Prado, c'est qu'il ne pouvait donner à celle-ci la mise en page ostensible du tableau des Offices. Mais la trouvaille de génie, c'est d'avoir fait d'une nécessité l'expression d'une réalité profonde mûrie dans son corps, la déesse reçoit de la main de l'artiste les "voiles" auxquels a droit l'amour déférent que le peintre lui porte. Nous avons déjà vu comment il agence les surfaces en coulisses, comment il dispose la lumière et les ombres, comment il amortit les couleurs. Jusque-là, on pourrait croire à de simples égards, dus à une réserve de circonstance; mais il n'en est rien. D'autres charmes naissent en effet avec l'âge, et c'est eux que l'artiste s'attache à déployer. Miroir limpide, le tableau des Offices nous montre un nu dans la rigueur immobile de sa beauté. L'oeuvre du Prado substitue au miroir les ondes multiples et concertantes de la musique. Cessant de se "ramasser" dans leur perfection formelle, les objets se "détendent", mais au lieu de s'affaisser, ils retrouvent une nouvelle vigueur en se répercutant les uns dans les autres, tels d'innombrables échos. Miracle du rythme dont le corps épanoui de la Vénus est le principe.