Le christianisme avait réduit le nu à l'état de signe abstrait lié à l'idée
du péché originel. En le libérant de celle-ci, la Renaissance le restitue
à sa vigueur primitive. Souvent aussi, il l'associe à des références
mythologiques; mais à côté de ce symbolisme, qui appartient à l'époque,
et dont on peut se passer, il est de fait qu'il continue à être pour
nous un chant fervent élevé à la gloire de la femme, à la beauté et,
par-delà, à la nature tout entière.
Or, parmi ces chants qui montent en choeur de l'Italie, il en est peu
d'aussi somptueux que ceux de Venise. C'est la gloire de
Giorgione, de
Titien, de
Véronèse, de
Tintoret, d'avoir métamorphosé Eve en une
incomparable Vénus, et un art, que guettait l'imitation, en un
miracle de poésie. Dans la longue carrière de Titien, rien n'est
plus émouvant que cette quête de la beauté féminine, interrompue
par moments, mais qu'il reprend jusqu'à la fin de sa vie. Peut-être
faut-il voir dans cet hymne à la grâce mûrie, voilée déjà par les
brumes automnales, mais épanouie par la musique secrète qui en
émane comme d'un fruit trop longtemps ensoleillé, l'une des
réalisations les plus belles de sa main. Jardin d'ombre et
de lumière, le corps de la femme s'ouvre sur le parc mystérieux
où, dans la douceur du couchant, la vie a la gravité moelleuse
de l'orgue, et la tendresse recueillie de ses silences.